Voici l'intégralité de l'hommage fait par Moto Journal N°502 du 1er avril 1981.
Hommage a Hailwood
So long Mike
MIKE THE BIKE Mike Hailwood a trouvé la mort la semaine dernière dans un accident de voiture. Sa petite fille a également été tuée dans le crash, sa femme et son fils ont été blessés. Les circonstances de l'accident sont assez confuses: sur une route à quatre voies la voiture est allée percuter un camion arrivant en face.
MIKE THE MYTHE Avec Mike Hailwood disparait une figure légendaire du sport motocycliste. Mike avait abandonné les courses moto en 1967 et s'était alors consacré à la voiture, avec de brèves résurgences sur deux roues. Dans l'esprit des jeunes motards, Mike Hailwood représente déjà un champion du passé. Dans la tête de ceux qui ont connu la periode entre 1960 et 1970, il reste un mythe vivant, Mike the bike, le plus grand pilote de tous les temps.
Les deux Hailwood En fait, il y avait deux Hailwood. Le mythe et l'autre. Le premier a fait battre le coeur de tous les fans de motos pendant dix ans de suite. L'autre a toujours nié l'existence du mythe et a promené son ennui et ses désillusion dans le monde entier. Mais si Mike Hailwood en lui même refusait d'être un mythe, il reconnaissait que seuls moments ou Stanley Michael Bayley Hailwood à trouvé un certain plaisir à la vie, ce sont ceux qui se sont passé au guidon d'une moto de course. Avant et après, il n'y avait rien.
Pour qui ne connait pas la mentalité anglo-saxonne et la resignation que peut parfois adopter ce peuple, la dualité de Mike Hailwood est assez délicate à appréhender. Ce fils de milliardaire a été élevé à la dure: en pension très tôt, puis dans un collège de l'aero navale dont il s'échappe à quinze ans parce que la discipline lui pèse. Une discipline pourtant voulu par son père, Stan Hailwood, qui croit aux vertus d'une éducation en force. Lorsque Mike annonce qu'il veut plus aller à l'école, son père le colle ouvrier sur une chaine de montage chez Triumph.
Dans son internat, Mike était connu pour son agressivité dont il se défoulait en pratiquant la boxe amateur. Il faut dire qu'il possédait une carrure d'athlète et une solide résistance physique. La dureté du père Hailwood a forgé le carractère volontaire de Mike mais aussi une timidité diffuse qui ne l'a jamais quitté. Plus qu'une timidité, une sauvagerie peut-être, alliée à une certaine méfiance. Mike faisait peu confiance aux gens, et il eut peu d'amis. D'autant que sa popularité de pilote n'allait pas l'aider à établir des vraies et sincères.
Les meilleures motos Cela dit, lorsque le fiston Hailwood annonce qu'il veut courir en moto, le père n'y va pas par quatre chemins. Il fait la tournée des usines susceptibles de fournir des motos valables. A n'importe quel prix. Dans son bouquin "My son Mike" (Mon fils Mike) Stan Hailwood explique bien qu'il a attendu de voir si son fils était doué avant de lui acheter des motos compétitives. Disons qu'il n'a pas attendu très longtemps. Et que très vite Mike a à sa disposition des Ducati Desmo d'usine payées cash et au prix fort. C'était en 1957. L'hiver 57-58 est passé en Afrique du sud ou Stan envoie Mike en compagnie d'un ami, histoire de se faire la main. En 58, Mike va au Tourist Trophy pour la première fois et en ramène trois Réplicas pour les trois catégories disputées: 125, 250 et 500. Cette fois, ça y est, l'idole des générations de motards à venir est en route. La progression sera bien sûr spectaculaire puisque dès 1961 Mike est champion du monde. Il le restera jusqu'à son retrait en 1967.
Tout n'est qu'ennui... Peut-on dire de but en blanc qu'un champion s'ennuie? Peut-on dire aussi brutalement que toute sa vie Mike Hailwwod n'a jamais apprécié que les moments ou il pilotait sa moto? Et pourtant c'est le cas. Il le disait lui-même, pas directement bien sûr, mais par sous-entendus. C'était il y a un an, lors du salon de la compétition ou Olivier Chevalier l'avait invité. Mike était venu traîner son ennui à Paris, là ou dans son magasin de motos de Birmingham, pourquoi pas? Assis au fond du car de sonorisation, il attendait que se termine le trial indoor. Ensuite il faudrait aller au restaurant. Les gens venaient le voir, mais visiblement le spectacle ne l'intéressait pas. C'était l'un des moments typiques ou Mike-intime acceptait de porter la tenue du Mythe pour satisfaire les autres. En Angleterre, il n'avait jamais quitté cette peau-là, il était resté le mythe Hailwood avec l'aide des journaux spécialisés britanniques, aide dont il se serait peut-être bien passé. Car une fois descendu de moto, Mike aurait aimé qu'on l'oublie une fois pour toutes, jusqu'à la prochaine course lorsqu'il courait, définitivement lorsqu'il raccrocha son casque pour de bon. Drôle de bonhomme, décidément. D'une rare finesse, d'une rare intelligence, dégageant une force que son physique reflétait bien. Mais s'ennuyant. Lorsqu'il était jeune, il aimait jouer du saxophone. Cette passion s'éteignit. Puis il devint ami avec Bill Ivy, son seul véritable ami, le seul avec lequel il parvint à établir une complicité absolue. Certes, il avait des potes, comme Jim Redmann, ou Oliver Howe, des bons copins pour passer une soirée ou aller prendre l'air en jouant au golf. Mais de véritable ami, il n'y avait que Ivy. Et Ivy se tua aux essais du Grand Prix d'Allemagne de l'est en 1969. Hailwood se retrouva seul. Comme avant qu'il ne rencontre Little Bill. Ils étaient aussi éloignés l'un de l'autre que possible: Bill le zonard, mal élevé mais si drôle et si pétillant, Mike le fils de bonne famille marqué par son éducation sévère et aussi timide que Ivy était frimeur. Deux potes assurément. Hailwood était un nanti, et en plus il gagnait, il gagnait tout avec insolence, pas toujours avec facilité. Si l'on fait les comptes, personne ne l'a jamais battu à la régulière. A part Jim Redman ou Giacomo Agostini, personne. Et encore ces deux là avait dû avoir de la chance ce jour-là. Ne parlons pas de Phil Read, l'antagoniste né de Hailwood, qui dut toujours s'incliner. Et qui un jour refusa de courir aux ordres et enleva un titre destiné à Ivy. Hailwood qui ne l'aimait déjà guère ne lui pardonna pas: "De toutes façons, Phil Read était un perdant-né" lacha-t-il abruptement alors que nous en parlions.
Le courage Cela dit, parler de la compétition avec Hailwood était une gageure. Il refusait de se livrer vraiment; pendant le repas qui suivit cette soirée au salon de la compétition, il ne lâcha que quelques bribes. Cette pique sur Phil Read. Trois mots sur Ivy. "Bill était mon seul ami" Ce qui avait déjà maintes fois répété: "Moi je courais pour gagner. Il me fallait toujours la meilleure moto". Et à la question de savoir ce qui fait gagner: "Le courage" Mot étrange dans sa bouche, tant son détachement par rapport à la vie donnait à penser que chez lui le courage de la risquer n'en fut jamais un. Juste un mépris de cette carcasse physique qui était devenu Mike-The-Bike. Il parait qu'il faut jamais détruire les mythes. Mike était trop intelligent pour ne pas l'avoir compris, et c'est pourquoi il détestait tellement son double, cette partie de lui même que les autres avaient commencé à exiger le jour ou il devint une vedette. ses fraques étaient connus, son penchant pour l'alcool aussi. Cette ennui qui l'habitait, il fallait bien qu'il le trompe aussi souvent que possible... Grandeur et misère du pilote de course, qui découvre dans ce sport ou il risque son intégrité physique une satisfaction si intense, si rare que plus rien dans la vie ne lui paraît aussi intéressant. Si en plus il a des prédispositions pour n'être passionné par rien, alors... Alors Mike quitta la moto parce qu'il ne concevait pas de courir pour la deuxième place. Sans possibilité de victoire, la chose ne l'intéressait pas. Il se tourna vers la voiture, qui ne le passionnait pas vraiment mais à 27 ans il avait encore envie d'entendre battre son coeur sur une ligne de départ et l'adrénaline envahir son corps au baisser du drapeau. Mike était si doué qu'il montra sur quatre roues le même talent que sur deux. Et toujours ce même mépris pour sa vie qui n'était pas exempt de panache, loin de là. Lorsqu'en Afrique du sud Clay Reggazzoni était prisonnier de sa voiture en flammes, Hailwood sans hésiter pénétra dans le brasier et en retira le pilote accidenté, lui sauvant assurément la vie. Son retour au Tourist Trophy était paraît-il publicitaire, mais aussi pour gagner de l'argent, bref on ne sait trop. Et pourtant on peut aussi parier qu'il retrouvera son plaisir de courir même s'il déclara: "Pour un vieux comme moi le T.T. est une course à aprt, c'est la seule que je peux encore gagner" C'était bien sa façon à lui de se protéger contre tous ceux qui auraient aimé le revoir sur piste. Pendant deux ans, il essaya d'aller vivre en Nouvelle Zélande. Il revint en Angleterre déclarant que là-bas il s'ennuyait à mourir. Sacré Mike... qui a enfin réussi à avoir la peau d'Hailwood. A moins que ce soit le contraire. Mike-The-Bike lui est immortel, il continuera à vivre dans la tête de tous ceux qui l'ont vu courir et gagner. L'autre, après tout, peut-être qu'il s'était déjà éteint depuis longtemps. ________________
Une carrière exceptionnelle
Mike, Mike-The-Bike, Hailwood... noms magiques accompagnés de la musique des quatre et six cylindres qui l'ont porté au faîte de sa gloire. Stanley Michael Bayley né en 1940 à Oxford en Angleterre. Qui commence à courir en 1957. Qui s'illustre au Tourist Trophy dès 1958. Qui en 1960 est avec Derek Minter le premier homme à dépasser le ton sur un mono-cylindre au T.T. soit 160 Km/h de moyenne sur un tour au guidon d'une 500 Norton. En 1961, il décroche son premier T.T. Hat-trick, un coup de chapeau, trois victoires dans la semaine en 125, 250 et 500. Et encore ne manque-t-il la victoire en 350 qu'à cause d'une casse dans le dernier tour. Cette année là, sur une 250 Honda quatre cylindres, il décroche son premier titre de champion du monde à vingt et un ans. Puis il est intégré à l'écurie d'usine de MV Agusta: quatre titres mondiaux successifs au guidon de la 500 quatre cylindres en 62-63-64 et 65. Mais MV vient d'engager Agostini: pour ne pas risquer une cohabitation délicate, pour l'argent aussi, pour le challenge évidemment. Mike signe chez Honda pour 66. Et gagne fin 65 sa première course sur la 250 Honda au Japon. Le palmarès de Mike Hailwood était déjà glorieux: il va devenir grandiose. C'est au guidon des six cylindres Honda et surtout de cette 500 qui développait une puissance folle mais ne tenait pas la route que le mythe Hailwood va définitivement exploser. Deux années chez Honda qui vont se solder par quatre titres mondiaux deux en 250 et deux en 350, catégories ou Mike est intouchable. En 500, l'histoire ne retient que ses deux places de vice-champion du monde. Elle oublie qu'en 1966 il n'a commencé à conduire la 500 Honda qu'à mi saison, qu'en 1967 il s'est battu pour trois titres en même temps, remportant cette année là un nouveau Hat-trick au T.T. et trois catégories le même jour à Assen en Hollande. Elle oublie surtout qu'en 1966 comme en 1967. Mike n'a été battu par Agostini au championnat du monde que parce que le moteur de sa 500 Honda a cassé dans la dernière course. En Italie qui plus est, devant les tiffosi en délire qui conspuaient Mike et adoraient Ago. Inutile de dire qu'en dehors des Grands Prix Mike-The-Bike a tout gagné: le Hutchinson 100, les courses inter en Italie, battu les records de l'heure à Daytona en 1964 avec sa MV, et pas mal d'argent. Encore un de ses trucs d'ailleurs: il disait toujours qu'il ne courait que pour le fric. A l'entendre il était l'homme le plus vénal de la terre. Son attitude faisait bien sûr apparaître l'inverse même s'il a toujours payer très cher ses services. Fin 67, Honda arrête la compétition et paye Hailwood un an afin qu'il ne dispute plus les Grands Prix. On le reverra sporadiquement sur une moto: en septembre 68 avec une Benelli au GP d'Italie, en 1970 à Daytona au guidon d'une BSA d'usine, en 71 à Silerstone sur une Yamaha, et plus récemment sur cette Ducati d'usine avec laquelle il gagne la course de F1 au T.T. en 1978. Entre-temps, il a couru en voiture: la Formule 2 d'abord dont il sera champion d'Europe, la Formule 5000 sur une Surtess. Surtess qui le fera accéder à la Formule un. Mike courra ensuite sur Mac Laren, et sa carrière prend fin en 74 au Nurburgring. Mais Mike n'aimait guère la voiture à cause des gens de ce milieu: trop individualistes, trop superficiels, trop sérieux. Pour lui la course c'était aussi la foire avec les copains, Bill Ivy en tête, avant ou après une course, peu importe... Aujourd'hui Mike Hailwood n'est plus: mais les fans de moto s'étaient résigné à ne plus le voir tel qu'en lui même depuis cette fin de saison 67, lorsqu'il annonça son passage à l'auto. Enumérer son palmarès serait trop long, qu'il suffise de dire qu'il était absolu et inégalé. Agostini lui même sait que ses quinze titres de champion du monde ne valent pas les neuf de Mike Hailwood. Mike-The-Bike, le grand Mike, le plus grand...
_________________ L'important c'est d'être devant.
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